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3 September 2022
Anti-Corruption Legislation
16 September 2022Le Liban est loin d’être le seul pays gangréné par la corruption et les scandales de détournement de fonds publics. Fléau universel, la corruption frappe tous les pays du monde, riches ou pauvres, grands ou petits. Mais ce sont les pays en développement, à l’image du Liban, qui en contractent les formes les plus graves. Mal systémique, la corruption devient alors un phénomène corrosif paralysant toute perspective de progrès et de développement. Pour autant, la corruption n’est pas une fatalité incurable. La résolution de certaines affaires ayant affecté d’autres États en développement le démontre.
État d’Asie du Sud-Est, la Malaisie connaît en 2015 un scandale de détournement de fonds publics dont l’écho est planétaire. Najib Razak, ex-Premier Ministre malaisien, est accusé d’avoir orchestré avec l’aide d’autres responsables politiques le détournement de milliards de dollars au profit de sa famille et de ses riches amis. Ce sont plus de 3,5 milliards de dollars du fonds souverain malaisien 1MDB qui ont été détournés vers des comptes personnels pour l’achat de résidences de luxe à New York, de yachts et autres produits de luxe.
En réaction, dix pays dont les États-Unis et la Suisse ont ouvert des enquêtes visant l’ex-Premier Ministre, sa femme, et plusieurs de leurs proches pour détournement de fonds publics. En 2020, la justice malaisienne reconnaît Najib Razak coupable de corruption et de quatre chefs de blanchiment d’argent. Celui-ci est alors condamné à 12 ans de prison et à une amende s’élevant à 49 millions de dollars. Malgré une tentative de recours, le jugement prononcé est confirmé en appel en 2021.
Cette affaire illustre la manière par laquelle la pression de la communauté internationale combinée au contrôle judiciaire local permet de tenir responsables les hauts dirigeants politiques accusés d’actes de corruption. Quelle que soit la hauteur de la fonction assumée par le responsable politique, celui-ci ne peut se soustraire à la loi et doit rendre compte, au même titre que tout autre justiciable, des actes commis auprès de la justice de son pays.
Voisin asiatique, la République des Philippines est également marquée par une grave affaire de détournement de fonds ayant connu un dénouement récent grâce aux efforts déployés par la communauté internationale. Ferdinand Marcos, ancien Président et dictateur de l’archipel est accusé d’avoir volé, lui et sa famille, entre 5 et 10 milliards de dollars au Trésor philippin.
Trente ans après la chute du dictateur et le gel de ses comptes secrets en Suisse, les autorités helvétiques autorisent le retour de sa fortune cachée vers les Philippines. La restitution des avoirs volés vise précisément à réparer les civils victimes de la loi martiale instaurée par le dictateur en 1972. Cette loi avait conduit à l’emprisonnement de 70 000 opposants politiques, leur torture, et la mort d’au moins 3 200 d’entre eux.
L’affaire des fonds Marcos traduit l’engagement des autorités suisses dans la lutte contre la délinquance en col blanc. Elle s’inscrit ainsi dans la tendance d’amélioration de la transparence impulsée par la communauté internationale. La procédure juridique entamée par la Suisse et les Philippines, reposant sur une méthode de négociation entre les deux États, constitue ainsi un précédent intéressant susceptible de servir de modèle pour le recouvrement des avoirs libanais détournés et placés dans des banques suisses.
On rappellera que depuis plus d’une vingtaine d’années, la Suisse mène une politique visant à s’absoudre de sa réputation de blanchisseuse de l’argent sale de la planète. En 2015, ce sont 1,8 milliard de dollars détournés par les dirigeants de divers pays - Philippines compris - qui ont été restitués.
Le durcissement des règles d’examen de la provenance des fonds en Suisse est un marqueur de cette politique. Ce gage de transparence a notamment permis au Pérou de récupérer 77 millions de dollars détournés par Vladimiro Montesinos, ancien directeur des services de renseignements, exécutant aujourd’hui une peine de 9 ans de prison pour des faits comprenant le blanchiment d’argent et l’enrichissement illicite.
La France joue elle aussi un rôle actif au sein de la communauté internationale dans la chasse aux détournements de fonds. En été 2021, est édictée une législation portant sur les biens dits « mal acquis », soit les biens acquis illégalement par des personnalités politiques étrangères ou par leurs proches à la suite de faits de corruption, de détournement de fonds ou autres infractions économiques initialement commis dans leur pays d’origine.
Cette loi française met en place un dispositif innovant permettant la restitution des recettes issues de la cession des biens mal acquis auprès de la population de l’État étranger concerné.
La restitution du bien mal acquis confisqué en France est subordonnée à certaines conditions. Il importe d’abord que l’État d’origine des fonds sollicite leur restitution en effectuant une demande d’entraide judiciaire.
Cet État a également la possibilité d’exercer une action devant les tribunaux français pour faire établir un droit de propriété ou demander réparation. L’État a pour option de se constituer partie civile devant les juridictions françaises si l’affaire a donné lieu à une ouverture d’enquête autonome en France ou d’engager une procédure civile distincte.
Néanmoins, en l’absence de ces démarches, les fonds définitivement confisqués par la justice française sont automatiquement versés au budget de l’État français conformément à l’article 131-21 al. 10 du Code pénal. Ainsi, le déploiement des démarches requises par l’État d’origine des fonds est crucial pour parvenir à recouvrir les montants détournés.
La loi française sur les biens mal acquis a trouvé sa première application concrète dans l’affaire Teodorin Obiang impliquant le vice-président de la Guinée équatoriale. Ayant détourné 150 millions d’euros de fonds publics, le responsable équato-guinéen est définitivement condamné par la Cour de Cassation pour blanchiment et détournement de fonds publics le 29 juillet 2021.
Son hôtel particulier à Paris et tous ses autres biens situés en France font alors l’objet d’une confiscation ouvrant le champ d’une restitution des montants à la population équato-guinéenne. Une mesure salutaire pour un pays dont les deux tiers de la population vit actuellement avec moins d’un dollar par jour.
Œuvrant en coopération avec les États concernés, l’Agence française de développement (AFD) veille à ce que les fonds restitués contribuent à l’amélioration de la qualité de vie des populations. Dépendante du ministère des Affaires étrangères, l’AFD s’assure que la restitution a lieu dans le respect des principes de transparence et de redevabilité pour éviter que les fonds concernés ne réintègrent des circuits de corruption.
Ce point est fondamental lorsque, comme dans le cas de la Guinée équatoriale, les accusés ou leur famille demeurent au pouvoir. Ce dispositif répond ainsi à une des conditions indispensables à la restitution des biens mal acquis : l’existence d’un cadre légal relatif au devenir des avoirs saisis par la justice des pays où les fonds sont détournés.
Ainsi, la loi française s’aligne sur les standards internationaux hérités de la Convention des Nations unies sur la corruption de 2003. Surnommée Convention de Mérida, elle érige à titre de principe contraignant la restitution des avoirs issus de la corruption.
En 2010, la Banque mondiale évaluait entre 20 et 40 milliards de dollars les sommes dont les pays en développement sont privés chaque année du fait de la corruption et des détournements de fonds. Elle précisait que lors des seize dernières années, seul un dixième des fonds détournés avait été rendu aux pays d’origine, soit environ 5 milliards de dollars.
Les restitutions sont ainsi rares dans la pratique, mais les outils législatifs à l’image de la loi française sur les biens mal acquis contribuent favorablement à la réalisation de cet objectif.
Il importe donc de ne pas ériger la restitution des avoirs détournés en tant qu’idéal inatteignable. Si la réunion des conditions nécessaires - l’entreprise des démarches par l’État d’origine des fonds, la confiscation des biens puis le suivi de l’argent restitué - est une entreprise minutieuse et complexe, elle n’est pas pour autant impossible : la solution rencontrée par les affaires précitées le démontre.
Grâce aux moyens investis par l’entité étatique concernée et à la coopération internationale, le processus de restitution des fonds peut connaître son aboutissement. Néanmoins, c’est sur la volonté de l’État touché par la corruption que tout repose : en l’absence des démarches judiciaires nécessaires, nul montant ne peut être recouvré et nul tort ne peut être réparé.
La mobilisation des leviers d’action pertinents et l’exercice de pressions suffisantes sur le système judiciaire libanais sont ainsi essentiels pour que l’espoir de restituer l’argent public détourné puisse un jour se concrétiser.